La Mission Océan Indien des Explorations de Monaco

par Francis Marsac, chef de mission du projet Saya de Malha

S.A. Agulhas II, Mission Océan Indien @ Nicolas Mathys

Les Explorations de Monaco (EDM) ont organisé une grande campagne de 2 mois dans le sud-ouest de l’Océan Indien, en octobre et novembre 2022, par l’affrètement du navire océanographique sud-africain S.A. Agulhas II. Parti du Cap (Afrique du Sud) début octobre, le navire a fait une première étape à l’Ile Maurice, avant d’entreprendre une circumnavigation dans la région passant par La Réunion, Aldabra et Mahé aux Seychelles, le banc de Saya de Malha, St Brandon, avant de revenir à Maurice où a débarqué la quasi-totalité de l’équipe scientifique. Le navire est ensuite reparti au Cap qu’il a atteint fin novembre, bouclant ainsi un périple de 10 000 milles nautiques (18 500 km). L’expédition a mobilisé 150 participants de 20 nationalités différentes : scientifiques, jeunes chercheurs et étudiants, cinéastes et photographes, artistes et communicants.

Une expédition pluridisciplinaire sur le banc Saya de Malha

Il s’agissait d’une expédition pluridisciplinaire, articulée autour de 8 projets et d’une école embarquée de 20 étudiants de niveau Master. Le projet principal de cette expédition a concerné le grand Banc de Saya de Malha (40 000 km²), pour une étude holistique de son écosystème avec un accent particulier sur la biodiversité benthique en invertébrés, éponges et plantes. Ce banc est inclus dans une zone de gestion conjointe de 400 000 km² entre Maurice et Seychelles créée dans le cadre de l’extension du plateau continental de ces deux états. Ce statut juridique prévu dans la Convention des Nations-Unies sur le Droit de la Mer, donne aux deux états pleine souveraineté sur le fond, le sous-sol et les ressources qui y sont inféodées. Il y a un besoin de données scientifiques pour informer la planification spatiale marine en cours de développement dans cette zone, et cette partie de la campagne des EDM a été conçue dans un objectif de « Science pour la Gouvernance ».

Le projet Saya de Malha s’est déroulé sur 2 semaines, du 2 au 17 novembre 2022. Des mesures des propriétés physico-chimiques et biologiques de la colonne d’eau (25 stations hydrologiques et de récolte de plancton) et des collectes de la faune et de la flore benthique ont été menées sur le plateau, le long de ses pentes et en mer profonde. L’échantillonnage de la biodiversité benthique s’est fait au moyen de 11 plongées par des plongeurs professionnels, de 46 chalutages et autres opérations sur le fond par des engins trainants (de 70 à 1100 m de profondeur), et par 12 plongées d’un engin sous-marin piloté à distance (ROV).

Carte avec les limites de la zone maritime conjointe Maurice-Seychelles. Source : CSMZAE, Maurice

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Deck sorting table @ Francis Marsac_IRD_Explorations de Monaco

Des résultats préliminaires prometteurs

Les résultats ont été à la hauteur des espérances, avec la collecte de 300 à 400 espèces de mollusques, 250 espèces de crustacés et d’une centaine d’espèces de plantes. L’inventaire taxonomique est en cours, mais déjà, à bord, trois spécimens ont été confirmés comme des espèces nouvelles, non décrites (un crabe Ethusidae, une crevette Stenopidae et un gastéropode Lamellarinae). Compte tenu de la richesse de la collecte, on peut s’attendre à de nombreuses identifications nouvelles. L’endémisme concernant les mollusques pourrait être de 20% sur Saya de Malha. Une caractéristique de la faune benthique de Saya est la très petite taille des organismes qui domine dans les collections, souvent des mollusques de moins de 2 mm. Des espèces décrites au début du XXe siècle ou vers la fin des années 1980 ont été « redécouvertes », comme Conus primus et le bénitier Tridacna rosewaterii.

L’identification des spécimens collectés prendra plusieurs années. Cependant, dès septembre 2023, un atelier réunissant les meilleurs experts taxonomistes mondiaux sera organisé en France, et on peut s’attendre à des avancées significatives vers une meilleure appréciation de la biodiversité benthique de Saya de Malha.

Crevette Stenopidae @ Laure Corbari, MNHN_Explorations de Monaco

Gastéropode Lamellarinae @ MNHN_Explorations de Monaco

Crabe Ethusidae @Laure Corbari,_MNHN_Explorations de Monaco

Une formation DIDEM à bord du navire

En complément de ces travaux, des sessions de formation ont été organisées à bord du navire pour expliquer l’articulation entre les sciences naturelles et la décision publique dans la gouvernance des espaces marins en rappelant les dispositions du Droit International de la Mer. Ceci s'est accompagné de supports de formation complets et d’articles de simple cadrage bientôt disponibles dans l'onglet ressources du projet. Ces sessions ont été l'occasion d'échanger de manière plurisdisciplinaire avec les scientifiques mauriciens et seychellois, en rapprochant les compétences pour clarifier les possibilités d'administrer des zones emblématiques comme les monts sous-marins et les structures sous-marines, qui forment des patrimoines naturels nationaux ou de la haute mer et des fonds internationaux, pour lesquels des protections nouvelles sont à envisager.

Les évolutions du droit de la mer du XXIe siècle. À combien de milles marins sommes-nous encore de l’inflexion environnementaliste ? par Florence GALLETTI, S.A. Agulhas II, 14 novembre 2022

Florence Galletti donant un cours pendant la Mission Océan Indien @IRD_Explorations de Monaco

Renforcement des liens entre pays

Enfin, cette campagne a été une extraordinaire opportunité offerte aux étudiants et à certains jeunes scientifiques d’être formés aux travaux d’une campagne océanographique. Cela a aussi renforcé les liens entre les scientifiques Seychellois et Mauriciens, qui se sont retrouvés sur des ateliers communs. L’expédition a ainsi contribué à mettre en place une équipe régionale prête à se déployer sur d’autres missions, et tout particulièrement celles qui pourraient concerner la zone de gestion conjointe entre les deux états.